Le slogan kurde « Jin, Jiyan, Azadî » (« Femme, Vie, Liberté ») ne cesse d’être scandé en Iran dans les nombreuses manifestations qui ont lieu depuis la mort de la jeune femme Jina Masha Amini il y a un an. Celle-ci fut arrêtée en pleine rue par la police car des mèches de cheveux sortaient de son « hidjab » (voile). En prison, elle fut violemment frappée par les policiers et décéda peu de temps après. Cet acte souleva une vague d’indignation et de colère en Iran. Depuis un an, le slogan, scandé à l’origine par des membres du mouvement des femmes kurdes, est repris aux funérailles, puis lors des rassemblements de soutien aux proches de la jeune fille.
Ces mêmes mots sont aujourd’hui déclamés par des femmes mais aussi par des hommes, lors des nombreuses manifestations organisées en Iran et dans le monde entier, afin de protester contre les actes de violence des policiers, les atteintes du régime iranien à la liberté d’expression, qui contrôle intégralement les médias et emprisonne tous ses opposants.
Pour l’exposition TRANSITION, j’ai gravé « Jin, Jiyan, Azadî » à la main dans le bois cette trace pour mémoire, en hommage à ces femmes et ces hommes en lutte.
En effet, ces gestes de colère et de révolte qui sont en train d’essaimer au sein de la population iranienne et gagnent parfois les sphères les plus hautes du régime, marquent peut-être un point de non-retour, l’espoir d’un changement de société vers davantage de tolérance et de liberté.
Ce slogan est scandé dans les rues à haute voix, mais aussi tagué sur les murs de Téhéran.
En le gravant à la main, je souhaite faire sentir que ce changement ne se fera ni facilement, ni rapidement, mais à la force du poignet et grâce à l’engagement de chacun.e. Le grand tissu noir évoque le « hidjab » que sont obligées de porter les femmes de ce pays dans les lieux publics.
Ici, les visiteurs de l’exposition sont invités à s’arrêter un moment, rêvasser, ou lire.
J’y viens régulièrement pour accueillir des visiteurs, faire « vivre » le lieu même si je ne suis pas là : cueillir de nouvelles fleurs, les arranger, changer la disposition d’un ou deux objets.
Cette « installation » est réalisée à partir de matériaux existants, d’objets personnels et d’autres, trouvés pendant la préparation de l’exposition : une pierre, deux plantes, une Immortelle et une Queue de lapin, une applique posée au sol, des petites dalles hexagonales, avec lesquels on peut jouer, réaliser des constructions imaginaires…
On peut y lire aussi quelques lignes de la nouvelle de Robert Walser, La promenade ;récit d’une marche qui va durer une journée, traversée par les pensées de l’écrivain.
En voici un extrait :
« Tandis que j’allais mon chemin tel un voyou amélioré, un vagabond, maraudeur, fainéant ou chemineau plus raffiné, longeant toutes sortes de confortables jardins regorgeant de légumes satisfaits, longeant des fleurs et des parfums de fleurs, longeant des arbres fruitiers et des pieds de haricots couverts de haricots, longeant de hautes céréales épanouies telles qu’avoine, seigle, ou froment, longeant un entrepôt de bois avec du bois et de la sciure de bois, longeant de l’herbe grasse et le gracieux gazouillis de rigole, d’une rivière ou d’un ruisseau, côtoyant doucement et joliment toutes sortes de gens comme de gentilles marchandes vaquant à leur négoce, et passant tout aussi bien devant le siège d’une association gaiement pavoisé de joyeux drapeaux que devant mainte autre chose bienveillante et utile, devant un spécimen particulièrement beau de pommiers des fées et devant Dieu sait quoi encore, par exemple devant des fleurs de fraisiers ou, déjà mieux, gentiment devant des fraises mûres et rouges, tandis que toutes sortes de pensées m’agitaient fortement, parce qu’en promenade bien des idées soudaines, éclairs de lumière et illumination éclairantes, se produisent et s’introduisent spontanément afin qu’on les exploite et les élabore avec soin, voilà que vient à ma rencontre un être, un colosse et un monstre qui me cacha presque complètement de son ombre la rue ensoleillée, un type tout en hauteur et inquiétant que je ne connaissais que trop, un drôle de pistolet vraiment, j’ai nommé le géant Tomzack.»
Pages 40 et 41.
Je m’intéresse depuis plusieurs années à la notion d’« habiter » et tente de mettre en pratique ce qu’on pourrait appeler une « esthétique de l’attention».
Photographies
Lanternes japonaises, 2021
Le « Physalis » est une plante appelée couramment «Lanterne japonaise», « Cerise de terre », « Coqueret » ou encore « Amour en cage ». Il se nomme aussi« Physalis Alkékenge », qui date du XVIème siècle et dérive de l’arabe « al-kâkange ».
Cette plante m’interpelle : les fruits du calice sont toxiques (baies dans une cage rouge-orangé) tandis que les baies jaunes d’or dans une cage kaki clair-paille contiennent des baies comestibles. Les fruits sont beaux et appétissants mais sont en réalité dangereux, comme beaucoup de plantes sauvages.
La morphologie et la dangerosité potentielle des végétaux m’intéressent.
La pratique du jardinage et la lecture m’ont permis de porter un autre regard sur les plantes. Elles ne sont pas destinées uniquement à la consommation de l’homme, elles ont leurs propres moyens de protection et de survie, comme les animaux.
Février. Je tente de capter les effets de la lumière sur la branche, les deux « calices » séchés (enveloppes fines) du Physalis, les ombres produites.
Les 4 photographies mettent en scène l’acte du toucher, thème que l’on retrouve dans les « Marches » où les personnes sont invitées à « improviser » par le mouvement avec l’environnement, les performances Sororal (Ateliers Babiole à Ivry en 2017) et Tout contre, imaginée en Ardèche en 2018.
Trois séries photographiques, prises dans la forêt, au bord de la mer, et sur le chemin quotidien dans la ville.
Sols Urbains
J’ai commencé cette série de « sols » tout d’abord en observant et en photographiant les sols que je découvrais sur le trajet qui me menait de mon domicile jusqu’au métro. Par jeu au départ, je me suis mise à en admirer les brèches, les failles, les textures, les couleurs. J’ai ensuite photographié ces fragments de sols de manière plus systématique, en essayant de garder le même cadrage, la même distance de l’appareil à la surface du sol.
Chacun, vu individuellement, tend vers l’abstraction. Présentés en série, les « sols urbains » rappellent la scansion de la marche
Les souches
Cette deuxième série de l’exposition réunit des photographies prises sur le « Sentier des Roches », dans le Parc Naturel Régional du Mont-Tremblant au Québec.
J’ai été éblouie par ces arbres qui, malgré le sol rocailleux, ont la force de grandir à même la roche, prenant appui sur des racines aux épaisseurs de troncs, se déliant parfois en volutes et arabesques.
Par ses racines, l’arbre tel que nous le connaissons, devient autre. Il est transfiguré. Il prend une allure fantasmagorique, en tout cas il acquiert une part d’animalité, ou anthropomorphique. Les lignes formées par les racines m’ont fascinée, comme celles de ces racines fichées dans le sol donnant l’impression que l’arbre entame une marche ou une danse. Avec leur volume, leur aspect sculptural, ces arbres semblent « nous regarder », pour reprendre l’expression chère à Georges Didi-Huberman.
Algues-laminaires
Cette troisième série rassemble des photographies de sols, prises sur une plage de l’île de Batz, en Bretagne Nord.
Au premier abord, il n’y a que le sable, immensément blanc qui recouvre la plage, si fin qu’il file entre les doigts. Et quand on prend le temps de regarder, d’explorer, on découvre ces algues-laminaires aux formes incroyables posées sur le sable après le passage de la marée. A partir d’elles, on peut se laisser aller à la rêverie, porté par le mouvement contenu en elles. Ma pratique de la danse contemporaine me conduit peut-être à avoir une attention particulière à ce type de formes.